lundi 11 février 2008

Article sur Tawitchailand, pour la revue des Missions Etrangeres de Paris

Tawitchailand, un centre éducatif à Mae Sot, carrefour des civilisations.


On y voit partout ces visages atypiques, marqués d’une épaisse pâte cosmétique blanche ou jaune. Ni vraiment indiens, ni tout à fait chinois ou tibétains, où l’on contemple déjà la géographie du Myanmar. Ils sont des centaines à traverser chaque jour la frontière depuis Myawadii, pour s’approvisionner en biens de consommation courante à moindre prix.
Des farangs* peuplent les terrasses des restaurants les plus confortables, qui rappellent une colonisation qui n’a pourtant jamais eu lieu au Royaume de Siam. Il sont les aventuriers du XXIe siècle, mercenaires humanitaires circulant dans de larges 4x4 climatisés, dispensant soins et soutiens financiers, et décidant de qui rejoindra les pays d’accueil aux réfugiés.
Dans la rue principale, après l’heure du déjeuner, les pavés grouillent d’indiens, de birmans en longyi et de chinois, s’haranguant au devant des étalages de pierres, précieuses et moins précieuses.
A coté du TESCO**, à l’est de la ville, on distingue les écoliers thaïs a leur uniforme beige et blanc. Peut-être à l’école buissonnière.
Derrière eux, une famille mong, dont les membres sont vêtus de superbes pyjamas de velours noir brodé, se dirige langoureusement vers le marché, ignorant peut-être que ses ancêtres formèrent un jour le peuple le plus influent de ce coin de l’Asie.
Des karens débarquent de l’arrière d’un pick-up en tunique traditionnelle, avec jean. Les femmes aux gencives rougies par le bétel fument d’impressionnants cigares. Il sont venus acheter du matériel agricole.
Plus loin, de jeunes enfants birmans houspillent des touristes pour une poignée de bahts. Ils sont d’apparence indienne ou bengali et habitent un genre de bidon-ville en périphérie, à Tawitchailand.


Cela fait maintenant trois ans que Sister Joy, supérieure philippine des filles de la Charité de Saint Vincent de Paul à Mae Sot, côtoie la communauté musulmane de Tawitchailand. Elle y a fondé un “Learning Center”*** qui accueille à temps plein une vingtaine d’élèves.
A l’origine il s’agissait d’une école du samedi, où les enfants apprenaient à parler thai et anglais. Mais face au refus de nombreuses écoles, d’ accueillir des enfants jugés trop sauvages, Sister Joy a décidé en accord avec les familles, d’ouvrir le Learning Center en semaine, afin d’en faire une école à part entière.
Situé dans une ancienne étable louée au mois, des bancs en bois y servent de pupitres, devant lesquels les élèves s’asseyent parterre. Un professeur originaire de Rangoon y dispense chaque jour un enseignement élémentaire en birman, et nous continuons, Maney, Ruby et moi, à venir les samedis matin, y enseigner les rudiments du thaï et quelques notions d’anglais.


Maney vient d’un village à proximité de Mae Sot, et Ruby est originaire de Pathein en Birmanie, où ses parents sont toujours. Elles sont toutes les deux karens et oeuvrent comme volontaires chez les filles de la Charité. En semaine, elles s’occupent d’une garderie qui accueille les enfants d’ouvriers birmans travaillant en Thaïlande.
D’ordinaire, Maney et moi nous partageons les quelques cinquante élèves du week-end en deux groupes. Ruby nous aidant l’un et l’autre à faire régner l’ordre et traduire ce que l’on ne parvient pas à faire comprendre aux enfants. Elle commence le plus souvent par les plus vieux (7 a 13 ans), leur faisant réciter l’alphabet thai, tandis qu’avec les petits (4 a 8 ans), nous chantons des comptines la première moitié de la matinée. Apres quoi nous échangeons, non sans leur avoir distribuer un snack le temps d’une récréation.


Pour la plupart, les enfants sont sous-alimentés, et certains souffrent même de carences plus spécifiques. Deux fois par an, Sister Joy organise des visites médicales à Tawitchailand, et pendant près de six heures, chaque famille passe à l’inspection, et des médicaments leur sont fournis.
Malgré toute notre bonne volonté, l’école de Tawitchailand reste en sursis. Elle n’est bien évidemment pas reconnue des autorités locales, qui commencent par ailleurs à voir d’un mauvais oeil l’émergence de ces centres d’accueil pour enfants birmans, et qui pourraient décider, non seulement de fermer l’école définitivement, mais même d’expulser la quarantaine de familles habitant les lieux illégalement.

Les nombreuses ONG qui oeuvrent dans la région travaillent généralement plus ou moins officieusement, et de nombreux établissements scolaires sont tolérés tant que chacun y trouve son compte. Seulement, il semblerait que le gouverneur en place ne soit pas très friand de ces passe-droits, et la menace d’une plus grande fermeté plane depuis peu sur la région.
Néanmoins, la province de Mae Sot est forcée de reconnaître aux institutions humanitaires leur contribution à son développement économique, et il n’est pas illusoire de penser que le flou restera la norme encore quelque temps. Jusqu’à la fermeture des camps de réfugiés? La chute du régime birman?





*farang: assimilation linguistique des occidentaux aux farangsets, français de
l’Ambassade de Louis XIV, en Thaïlande au XVIIIe.
**TESCO: enseigne de supermarché anglo-saxonne, équivalent de carrefour.
***learning center: centre éducatif.

mardi 5 février 2008

Je ne m’excuserai plus de ce que j’ecris

Apres huit mois a l’autre bout du monde, je vois combien une correspondance soutenue est difficile a entretenir.

J’y vois le malaise que l’on peut eprouver face a la distance, le soupcon que quoique l’on dise, on soit a cote. Que l’on ne parvienne pas a etre juste, a dire ce que l’autre attend de nous.

Je suis conscient que nous evoluons dans un monde ou les moyens de communication n’ont plus rien a voir avec ceux du long siecle dernier. Que le courrier traditionnel n’a plus qu’un role quasi folklorique, en ce qu’il correspond aux annonces publiques des evenements qui rythment l’existence d’un homme, d’une famille, d’un groupe ou d’un ensemble. Enfin, que l’on ne s’ecrit plus pour s’epancher en de longues lettres langoureuses.
Bien que l’on puisse considerer que le courrier electronique contribue a une renaissance des liens e-pistolaires, et que les messageries instantanees paraissent un pendant aux billets et pneumatiques que nos parents connurent, il semblerait que le temps que l’on accordait alors a son interlocuteur se limite aujourd’hui a quelques formules de politesses et l’evocation de details pratiques, traitant de reunions a venir.

Le temps que l’on prenait a revenir sur soi pour partager les evenements marquants ou non, de notre existence quotidienne, avec son/ses correspondant(s) a diminue d’autant que la vitesse de transfert des messages depuis l’avenement de la toile.

Doit-on y voir un defaut de remise en question, ou meme plus simplement, de repertoire des choses de la vie. Peut-etre un risque de perdre trop vite une memoire dont la valeur est moindre au pays de l’instantane. D’ailleurs pour les souvenirs, il y aura toujours les photos.
Ou serait-ce que l’epanchement ait trouve un nouveau mode d’expression dans la redaction de blogs. Un compromis habile entre intimite et exhibition, exclusivite et diffusion, la voie linguistique de mon rapport au monde. Enfin l’occasion d’offrir a tous, et a peu de frais, ce qui fait que je suis moi.

Il s’agit surtout de comprendre que nous avons tous besoins d’interlocuteurs. Que nous ne pouvons pas assumer, seuls, le poids du monde.
Etre ecoute, sans forcemment que l’autre/les autres ne reponde(ent). Partager des sentiments, des emotions. Le gout d’un roman ou d’une culture. Celui d’un film ou d’une idee, d’un morceau d’etoffe ou d’un tas de pierres. Rechercher en l’autre une garantie qu’on lui est bien apparente, et qu’il est bien homme comme nous le sommes.
Freres.